Les pharmaciens doivent être leur propre Uber



Vous avez créé fin 2015 l’enseigne Pharmabest, sur les bases de l’ancien groupement G7. Pourquoi cette nouvelle orientation stratégique ?

David Abenhaim : l’environnement de la pharmacie est en train de se transformer profondément. Des menaces sérieuses pèsent sur le monopole, l’organisation actuelle des professions réglementées est remise en question, des incertitudes subsistent sur l’ouverture du capital... Nous avons pris conscience que le groupement G7, par ailleurs très puissant et efficace sur le plan commercial, devait se transformer pour aborder ces changements. Le passage du groupement à l’enseigne est à cet égard emblématique. G7 était à l’origine une centrale de référencement créée il y a une quinzaine d’années par de grosses officines du sud de la France, pour mutualiser leurs négociations d’achats sur les produits hors monopole (dermocosmétiques, produits d’hygiène, compléments alimentaires...). Fin 2015, elle était composée de 21 officines réalisant en moyenne des chiffres d’affaires annuels de 6 à 7 M€, réalisés majoritairement en dehors du médicament remboursable. Nous bénéficiions d’une forte notoriété auprès des fabricants et des laboratoires pharmaceutiques, mais étions inconnus du grand public. Le passage à l’enseigne nous permet de gagner en visibilité et de développer de nouvelles offres de services.

Que représente aujourd’hui l’enseigne Pharmabest ?

D. A. : Pharmabest s’est construit à partir de « l’ADN » de G7 et a capitalisé sur ses atouts. À savoir une vraie force de frappe sur le plan commercial et une offre résolument orientée vers le hors monopole. Et en termes de prix, nous poursuivons la stratégie discount qui a fait la force de G7. Au total, les quelque 60 pharmacies du réseau représentent 600 M€ de chiffre d’affaires annuel. Ce volume d’affaires nous ouvre d’importantes marges de négociation avec les laboratoires.

Vous souhaitez élargir votre implantation géographique et augmenter le nombre de vos adhérents. Est-ce à dire que vous avez ou allez modifier vos critères d’adhésion ?

D. A. : non, nous restons en ligne avec la politique de recrutement qui était celle de G7. À savoir un seuil minimum de chiffre d’affaires (7 M€), la part que représente le hors monopole (au moins 50 % des ventes), une zone de chalandise de premier plan, la qualité de la relation client et enfin le profil du ou des titulaires. Les pharmaciens qui nous rejoignent doivent être de bons gestionnaires et avoir un profil d’entrepreneur. Ces critères sont très sélectifs. Pour autant, ils ne freinent pas notre expansion : nous sommes passés de 21 adhérents fin 2015 à 60 mi-2017, et nous prévoyons d’être entre 70 et 80 à la fin de cette année.

Pourquoi ce critère de 7 M€ de chiffre d’affaires annuel ?

D. A. : parce qu’il s’agit d’un seuil critique permettant au(x) titulaire(s) de mettre en place la politique marketing et commerciale définie par l’enseigne. Celle-ci passe notamment par des opérations promotionnelles communes (4 fois par an), l’édition à 300 000 exemplaires d’un consumer magazine, la gestion d’une base de données géomarketing, le développement continu de nouveaux services aux clients... Cette politique a un coût que les adhérents doivent être en capacité de financer. Cela dit, les chiffres d’affaires annuels réalisés par les pharmacies Pharmabest varient de 7 à 35 M€. L’éventail est donc très large !

Comment travaillez-vous la notoriété de la « marque » Pharmabest ?

D. A. : nous utilisons plusieurs leviers. Le premier est la carte de fidélité (« My very best card® ») que nous avons lancée début avril 2017, en partenariat avec 25 laboratoires de parapharmacie. Distribuée à environ 75 000 clients, elle leur permet de bénéficier d’avantages et d’offres sur des marques (leaders ou émergentes) dans les domaines de la dermocosmétique, des compléments alimentaires, des produits d’hygiène... Ce programme de fidélisation est accessible à la fois en ligne et via une application mobile. Deuxième levier, le site de vente en ligne que nous venons de lancer et qui va proposer notamment le Click & Collect. La majorité de nos adhérents sont très motivés pour développer ce canal de vente, certains d’entre eux se sont d’ailleurs lancés dès que la réglementation l’a autorisé en 2013. Même si pour l’heure, les ventes en ligne sont relativement marginales, le e-commerce est une tendance de fond de la distribution de détail que les pharmaciens ne peuvent ignorer. Enfin, nous avons le projet de développer des marques de distributeurs (MDD) dans les mois qui viennent.

Vous avez lancé en juillet dernier le service de livraison pharmabest@home. À quels besoins répond ce service et quels sont vos objectifs sur le plan commercial ?

D. A. : nous avons lancé cette expérimentation à Marseille, en partenariat avec La Poste. Ce nouveau service permet de livrer des médicaments de prescription aux personnes traitées à domicile qui ont des difficultés ou qui sont dans l’impossibilité de se déplacer. Si cet essai s’avère concluant, nous prévoyons de déployer ce nouveau service dans d’autres villes comme Lyon, Bordeaux, Nice, Lille...

Des fonds d’investissement sont récemment entrés dans le capital de certaines enseignes de pharmacies. Que pensez-vous de cette évolution et l’envisagez-vous pour Pharmabest ?

D. A. : il ne m’appartient pas de juger les stratégies de mes confrères et concurrents. Mais pour ce qui concerne Pharmabest, cette ouverture du capital n’est pas envisagée. Nous restons attachés à notre indépendance et souhaitons que les pharmaciens soient totalement impliqués dans la stratégie de développement de l’enseigne. Tous les titulaires adhérents sont d’ailleurs actionnaires de la SAS Pharmabest. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous sélectionnons les adhérents sur la base du chiffre d’affaires, car nous voulons avoir les moyens de notre indépendance.

Pour terminer, comment imaginez-vous l’avenir de la pharmacie d’officine ?

D. A. : je pense que le cadre de son exercice va progressivement se libéraliser. Dans ce contexte plus concurrentiel, l’organisation de la pharmacie va devoir se transformer, les pharmaciens se regrouperont autour d’enseignes mieux structurées et aux identités plus fortes. La différenciation passera à la fois par la compétitivité prix et par le développement de services supplémentaires. Je crois que les pharmaciens doivent être leur propre « Uber® » : ne pas attendre qu’un acteur externe transforme leur métier, mais qu’ils imaginent eux-mêmes la pharmacie de demain.

Fiche d’identité
Dénomination : pharmacie Prado-Mermoz de Marseille (13)
Année d’installation : 2006
Chiffre d’affaires : 33 M€/an, dont 65 % réalisés par la parapharmacie
Nombre d’associés : 4
Effectif : 44 salariés dont 26 pharmaciens diplômés inscrits à l’Ordre
Fréquentation : 78 000 clients/mois

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