Le modèle libéral de la biologie médicale a un avenir



Inovie voit son chiffre d’affaires progresser chaque année de quelque 100 M€. Quel est le moteur de cette croissance exceptionnelle ?

Georges Ruiz : notre succès repose sur le choix d’un modèle 100 % libéral, qui séduit de nombreux biologistes refusant l’industrialisation de notre métier et l’arrivée des fonds d’investissement. Inovie est la nouvelle entité du groupe Labosud que nous avons créé fin 2010. Au cours de ces dernières années, plusieurs LBM locaux ou régionaux nous ont rejoints, la plupart implantés dans le sud de la France. Nous avons notamment fusionné avec OC Biologie, en 2012, laboratoire installé dans la région de Montpellier. Une opération d’envergure qui nous a permis de passer le cap des 50 M€ de chiffre d’affaires. 2017 a marqué un nouveau tournant grâce à la fusion de notre groupe avec Unibio, implanté dans le Gard et l’Hérault. Ces rapprochements successifs nous ont ainsi permis de devenir le leader du secteur de la biologie médicale avec 400 actionnaires et un chiffre d’affaires consolidé fin 2018 de près de 500 M€.

Et de vous étendre géographiquement ?

G. R. : effectivement, nous sommes désormais implantés dans 5 grandes régions, en Occitanie, PACA, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Centre-Val de Loire. Nous disposons actuellement d’un réseau de 350 sites et l’ensemble de nos LBM compte plus de 470 biologistes médicaux. C’est pour tenir compte de cette expansion géographique que nous nous sommes dotés, fin 2017, d’une nouvelle identité. Inovie est la contraction de notre promesse « Innovons pour la vie ».

Comment l’organisation de votre groupe s’est-elle adaptée à cette expansion rapide ?

G. R. : notre développement s’opère par filialisation externe, c’est-à-dire par échanges d’actions avec d’autres laboratoires souhaitant nous rejoindre. Inovie est composé d’une structure mère Labosud et de 17 LBM filialisés, qui ont le statut juridique de SELAS. Concrètement, Labosud acquiert les LBM tandis que leurs propriétaires deviennent actionnaires de notre structure mère. Nous nous sommes dotés d’un comité de groupe, composé de l’ensemble des présidents des LBM, au pouvoir élargi, qui met en œuvre les grandes orientations stratégiques et la politique générale du groupe. L’organisation et l’ingénierie financière que nous avons mises en place nous permettent ainsi de consolider le capital tout en préservant l’indépendance d’exercice des biologistes actionnaires. Les filiales continuent, en effet, de bénéficier d’une réelle autonomie, dans le choix, par exemple, de certains investissements (achats de matériels), l’ouverture ou la fermeture de sites. Chaque filiale peut ainsi investir de manière autonome jusqu’à 8 % de son chiffre d’affaires. Et chacune est dirigée par un président et dispose de son propre Comité de direction.
D’autre part, toute acquisition d’un nouveau groupe ou LBM est soumise à approbation des actionnaires, en assemblée générale, selon le principe d’un homme = une voix.
Cette organisation constitue un socle solide pour poursuivre notre développement, car elle repose sur 3 facteurs clés de succès : la maîtrise du capital fermé à des non biologistes, celle du territoire (ancrage territorial fort) et celle de l’organisation par des équipes dirigeantes responsabilisées et autonomes.

La course à la concentration du secteur est-elle inéluctable ?

G. R. : elle l’est, en effet, étant donné les nombreux défis que doivent relever les laboratoires. En nous regroupant, nous sommes en meilleure position pour négocier d’une part les achats d’équipements, matériels et consommables, et d’autre part, les contrats de sous-traitance de certaines de nos activités. Par ailleurs, acquérir une taille critique devient nécessaire pour proposer un large catalogue d’analyses, constituer des pôles d’excellence et se positionner sur des activités en forte croissance comme la biopathologie, les tests de génétique et les examens anatomopathologiques. Les progrès réalisés dans le diagnostic et la surveillance d’un nombre croissant de cancers constituent un facteur très structurant et favorisent la consolidation de notre secteur. Nous avons constitué ainsi Imagénome, notre pôle d’excellence en génomique, une plate-forme de biopathologie installée à Montpellier. Elle effectue des actes innovants comme les tests compagnons, la signature du cancer du sein, la biopsie liquide…

Quels sont, selon vous, les enjeux que doit relever la biologie médicale ?

G. R. : ils sont nombreux ! La coexistence de l’exercice libéral et de groupes industriels crée une concurrence frontale entre ces 2 modèles et fait grimper les prix d’acquisition des laboratoires. Ces prix sont en train d’atteindre des niveaux inédits, de l’ordre de 2 à 3 fois le chiffre d’affaires. Une situation qui débouche sur une importante distorsion de concurrence du fait des capacités inégales à lever des fonds et à refinancer son endettement. L’engouement pour le TLB – technique de financement sophistiquée consistant à recourir à une seconde tranche de dette remboursable in fine – a atteint notre secteur et des réseaux comme Biogroup et Cerba l’utilisent. Nous nous refusons pour l’heure à y avoir recours, mais allons-nous pouvoir rester à l’écart de ce mouvement ? D’autre part, nous devons faire face à une nouvelle concurrence qui émane cette fois-ci du secteur hospitalier public, et plus précisément des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ces derniers cherchent à centraliser les activités de biologie médicale de leurs centres hospitaliers locaux, dans le but d’acquérir une taille critique et maintenir leur seuil de rentabilité. Sans oublier la régulation forte de notre activité dans le cadre des Plans triennaux « Cnamts/syndicats » qui pousse à la concentration : nous devons accroître nos volumes d’actes pour compenser la baisse des tarifs.

Quelles sont les prochaines étapes de votre développement ?

G. R. : je reste serein et optimiste sur notre modèle, à condition toutefois que la réglementation n’évolue pas vers une ouverture plus large ou complète du capital. Notre objectif est d’acquérir une envergure nationale d’ici 4 à 5 ans. Le secteur se caractérise par la présence de nombreux groupes régionaux qui réalisent des chiffres d’affaires consolidés de l’ordre de 40 à 50 M€. Certains d’entre eux envisagent de se vendre car leurs dirigeants souhaitent prendre leur retraite. Le facteur démographique joue un rôle important dans les rapprochements actuels et à venir et nous espérons bien participer à la consolidation du secteur. Mais pour défendre notre modèle, il faut que nous assurions, nous aussi, le renouvellement des générations. C’est la raison pour laquelle nous aidons de jeunes biologistes à monter dans le capital du groupe, par la cession d’actions à des tarifs préférentiels.

Fiche d’identité
Dénomination : Groupe Inovie
4 pôles d’excellence : Inovie Fertilité, Imagénome, Inopath et Inovie Vet
Chiffre d’affaires consolidé : 495 M€ en 2018 (part de marché : 13 % de la biologie privée)
Effectif : 4 231 employés
Nombre de patients : > 45 000/jour

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