La téléconsultation en officine est une activité d’avenir



Vous avez démarré votre activité de télémédecine en 2010. Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans cette aventure ?

Sophie Toufflin-Rioli : ce fut dans un premier temps la situation de désertification médicale dans laquelle nous nous sommes trouvés à l’époque. Je suis installée dans une commune rurale de 3 500 habitants et un seul généraliste était alors en activité, au moment où je venais d’agrandir ma pharmacie. Avec une surface de 400 m², j’avais pu installer un espace de confidentialité accessible directement par les patients. J’avais donc matériellement la possibilité de développer ce nouveau service. Mon autre motivation était plus personnelle. Mon époux avait remis fin 2009 un rapport à la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, sur la place des pharmaciens dans le parcours de soins. L’une de ses préconisations était de leur permettre, dans les zones sous-médicalisées, d’aménager un local multimédia, sorte de « poste avancé de garde » pour maintenir l’accès aux soins. Avec son aide, je me suis donc lancée pour expérimenter des actes de télémédecine, un projet à l’époque totalement inédit !

Quelles démarches avez-vous entreprises pour concrétiser votre projet ?

S. T.-R. : je me suis d’abord tournée vers le CHU de Toulouse, connu pour son expertise dans ce domaine, étant donné qu’il intègre le centre de consultation médicale maritime. Mais la distance et les différences de culture entre l’hôpital et l’officine ont rendu le projet trop complexe à gérer. Je me suis donc adressée à l’ARS Pays de la Loire et au CHU de Nantes, puis au CH de Challans. Cela a été (et c’est toujours) un parcours du combattant, car la télémédecine est en France très hospitalo-centrée.

Comment avez-vous pu à l’époque le financer ?

S. T.-R. : dans le cadre d’un appel à projets dédié aux services numériques pour la santé et l’autonomie, prévu dans le programme « Investissements d’avenir ». Le périmètre du projet a été élargi à des Ehpad dans le cadre d’un consortium créé par mon époux, Télémédinov. Nous nous sommes donc regroupés avec le CH de Challans, des spécialistes libéraux (2 dermatologues et 2 ophtalmologues) et une maison de santé équipée pour assurer des actes de téléconsultation et de téléexpertise.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

S. T.-R. : le périmètre de mon activité a évolué car je me suis adaptée, d’une part aux besoins de la population, et d’autre part, à l’arrivée de nouveaux médecins généralistes dans notre commune. Commequiers n’est plus une zone sous-médicalisée puisque 3 généralistes y exercent actuellement. Je n’assure donc plus de téléconsultations de médecine générale, même si j’ai toujours la possibilité technique de le faire. C’est un service qui peut s’avérer utile dans le cadre de la régulation des gardes. En revanche, j’assure des téléconsultations en dermatologie pour le suivi des plaies chroniques et les patients soignés pour un carcinome, ainsi qu’en ophtalmologie pour le suivi à distance des patients diabétiques. Quant au programme Télémédinov, il est opérationnel et fonctionne en mode routine.

Quel volume d’activité ces actes de téléconsultation représentent-ils ?

S. T.-R. : en moyenne, 3 à 4 téléconsultations par semaine. Une téléconsultation dure en moyenne 15 à 20 minutes, soit la durée moyenne d’une consultation en présentiel chez un généraliste.

Comment êtes-vous rémunéré ?

S. T.-R. : je ne reçois pas de rémunération spécifique dans la mesure où la téléconsultation à l’officine n’entre pas dans le champ des services rémunérés, faute de décret d’application ! Malgré tout, j’en retire plusieurs avantages. J’ai bénéficié de facilités pour m’équiper, dans le cadre du programme Télémédinov. Sur d’autres plans, la téléconsultation permet de fidéliser les patients et de s’inscrire concrètement dans des démarches de coopération professionnelle.

Si vous deviez valoriser le coût de cette activité, quel serait-il ?

S. T.-R. : si je prends en compte le temps passé et l’amortissement du matériel, je l’estime à 20 € par téléconsultation. Si l’on ajoute ce coût à la rémunération du médecin, il est évident que cette activité est pour l’heure coûteuse. Mais elle doit être mise en perspective avec les économies qu’elle permet de générer. Et s’il était possible d’augmenter le nombre d’actes, on pourrait dégager des économies d’échelle.

Quel est l’accueil des patients à qui vous proposez ce service ?

S. T.-R. : excellent, y compris auprès des patients âgés, qui pourraient se sentir déstabilisés par la dimension technique de l’acte. Ils sont sensibles à la proximité, au gain de temps et à la facilité des échanges avec les médecins.

Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ?

S. T.-R. : pour un pharmacien, proposer un service de téléconsultation s’avère pertinent dans 2 cas de figure : d’une part, dans les zones sous-médicalisées, et d’autre part, dans le cadre d’une équipe de soins primaires, quand il travaille en coopération avec une maison de santé. Et de manière générale, dans les territoires caractérisés par une proportion importante de personnes âgées qui peinent à se déplacer pour se rendre à une consultation médicale. Quand les médecins ne sont pas remplacés, la permanence des soins n’est plus assurée et la pharmacie peut se retrouver dans une situation économique difficile. La télémédecine permet de transformer une menace en opportunité.

Est-ce que cette activité peut intéresser d’autres officines ?

S. T.-R. : la téléconsultation de spécialistes peut intéresser toutes les pharmacies, y compris celles de centre-ville, dans la mesure où certaines spécialités médicales sont frappées par une baisse importante de leurs effectifs. Les délais d’attente s’allongent et dans certains cas, une téléconsultation peut remplacer une consultation en présentiel. C’est une alternative qui préserve la médecine de proximité. J’encourage mes confrères à manifester leur intérêt pour cette activité. Sinon, d’autres acteurs investiront la télémédecine en ambulatoire et préempteront ce service.

Pour terminer, comment imaginez-vous l’avenir de la pharmacie d’officine ?

S. T.-R. : je l’imagine orientée vers les services aux patients et la coopération interprofessionnelle. L’officine doit devenir un espace de santé et de prévention au sens large, garantissant l’accès aux soins en tout point du territoire.

Fiche d’identité
Activité : pharmacie d’officine
Siège de l’officine : Commequiers (85)
Chiffre d’affaires : 2,2 M€, dont 88 % réalisés sur le remboursable
Année d’installation : 2005

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