La retraite, je n’y pense pas !



Vous êtes médecin libéral à strasbourg mais vous avez également une activité en milieu hospitalier. On vous imagine surbooké.

Robert Lucchetta : Depuis 1984, je suis médecin généraliste à Strasbourg pour 60 % de mon temps de travail environ. Pour le reste, j’exerce en tant que praticien attaché au Nouvel Hôpital Civil. C’est le grand centre hospitalo-universitaire de Strasbourg. Dans ce cadre, je m’occupe des consultations en cancérologie urologique. Concrètement, cela veut dire établir les bilans initiaux de diagnostic et assurer le suivi des patients dans le domaine des cancers de la prostate, de la vessie et du rein, notamment. L’activité, particulièrement intense, ne cesse de croître. À partir de 1974, on a instauré un numerus clausus qui a fait passer le nombre de médecins formés sur Strasbourg de 400 à 200 par an. On en paye aujourd’hui les conséquences avec des patients plus nombreux qui se répartissent sur un nombre plus réduit de praticiens. Selon moi, c’est au détriment de la qualité des soins.

Qu’est-ce que vous apporte votre poste à l’hôpital par rapport à votre travail de médecin libéral ?

R. L. : D’abord, le fait de travailler en équipe. Je retrouve l’ambiance à laquelle j’avais goûté pendant mes études lorsque j’étais interne notamment. Si on est confronté à un problème ou un cas difficile, on peut tout de suite en parler avec l’équipe qui vous entoure pour prendre les bonnes décisions. Un médecin libéral est, lui, plutôt isolé. C’est ce qui me manque un peu lorsque je retourne dans mon cabinet en ville. L’environnement hospitalier est plus stimulant. Actuellement, l’hôpital mène une étude épidémiologique sur le cancer du rein. On s’est aperçu que l’Alsace avait le taux de cancer du rein le plus élevé au monde, à égalité avec une région reculée de Laponie. L’étude va nous aider à comprendre les raisons de ce phénomène, peut être liées aux habitudes alimentaires de la région riche en bonne chère.

Partager votre temps entre votre clientèle privée et l’hôpital, est-ce pour vous le bon équilibre ?

R. L. : Oui, tout à fait. Au départ, j’étais décidé à me spécialiser dans la cancérologie. Mais, dans les années 80, nous n’avions pas les résultats de guérison que l’on obtient aujourd’hui. C’était très pesant. Pour me donner un peu d’air, j’ai fini par ouvrir un cabinet de médecine générale tout en gardant une activité dans la cancérologie, comme me l’avait conseillé mon patron hospitalier de l’époque. Un bon compromis finalement que je ne regrette pas. La médecine générale a perdu de son prestige auprès de patients qui ont davantage des comportements de consommateurs. L’assurance maladie nous met la pression pour prescrire des médicaments génériques… que le public ne veut généralement pas.

À l’hôpital, dans un service de cancérologie, tout est différent. Les relations avec les malades sont moins superficielles. Ils ont besoin de nous et nous font confiance. Pour un médecin, ce type de relation rend le travail plus valorisant même si on doit passer par des moments difficiles dans cette spécialité exigeante.

Avez-vous des projets pour faire évoluer votre façon de travailler ?

R. L. : Oui, je recherche un médecin généraliste qui pourrait m’épauler au cabinet. Cela fait maintenant 30 ans que je suis installé et j’ai besoin de lever le pied. Mon cabinet a largement le potentiel de clientèle pour accueillir un deuxième médecin. Malheureusement, depuis que j’ai commencé mes recherches il y a deux ans, je n’ai pas encore trouvé l’oiseau rare. Les jeunes préfèrent aujourd’hui travailler en milieu salarié ou en groupe dans une maison médicale par exemple. Même dans une grande ville, les généralistes peinent à trouver des jeunes pour les aider ou les remplacer. C’est inquiétant.

Est-ce aussi une façon de préparer votre départ à la retraite ?

R. L. : J’avoue que je n’y pense pas ! À l’hôpital, j’ai encore quatre années devant moi avant de me retirer. L’échéance paraît encore plus lointaine pour mon activité de libéral. J’aime mon travail et il n’est pas question d’arrêter tant qu’il y a la santé. J’ai trouvé un équilibre. Mais il n’y a pas que la médecine dans la vie. Mon autre passion, c’est la course automobile. Avec des amis, je vais régulièrement suivre des compétitions et je roule aussi sur des circuits. C’est mon dada qui me permet de décompresser.

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