48 h entre le pêcheur et le consommateur



Quel est votre parcours ?

Charles Guirriec : je suis né à Bordeaux et je suis fan de pêche depuis toujours. Après mon diplôme d’ingénieur agro, j’ai travaillé en tant qu’observateur des pêches. Concrètement, je me suis retrouvé sur des bateaux où je mesurais les captures de poissons. C’est à ce moment que j’ai découvert toutes les problématiques d’une entreprise de pêche qui ne sait pas, à l’avance, ce qu’elle va produire, en quelle quantité, et à quel prix elle va vendre sa production. En parallèle, je m’intéressais beaucoup aux circuits courts de distribution mis en place par les AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) et j’ai commencé à dupliquer ce modèle sur les produits de la mer. Fin 2012, au cours d’un week-end en bord de mer, je suis allé à la rencontre de pêcheurs et j’ai ramené 80 kilos de coquilles Saint-Jacques dans mon appartement parisien que j’ai distribuées aux personnes qui me les avaient pré-commandées. Mais l’activité a vraiment démarré en janvier 2014 quand j’ai rencontré mon associé, Guillaume Gréaud.

Présentez-nous le concept du circuit court Poiscaille

C. G. : nous achetons les produits de la mer directement auprès de pêcheurs partenaires qui pratiquent tous une pêche durable et responsable. En travaillant ainsi en direct, nous pouvons garantir un délai de 48 heures entre la pêche à bord du bateau et la remise au consommateur. Nos produits ne passent pas par des grossistes ou des ateliers, ils sortent du bateau et arrivent en direct chez nos clients. Ainsi, nous avons vraiment un effet qualitatif sur ce que nous vendons. Et c’est ce qui fait la force de notre modèle. Nous proposons nos « Casiers de la Mer », par abonnement, à des prix variant de 20 à 25 € selon la fréquence de commande : chaque semaine, une semaine sur deux ou une fois par mois.

Que contiennent ces « Casiers de la Mer » ?

C. G. : leur contenu dépend de la météo, de la saison et des caprices de la mer. Nous valorisons toutes les espèces : des poissons de ligne comme le bar, la dorade, le tacaud, le lieu jaune et le merlan par exemple, des crustacés comme le homard, le tourteau et l’araignée, ainsi que des coquillages péchés à pied telles les coques, les palourdes et les moules ou en plongée comme les coquilles Saint-Jacques. Nous proposons également des huîtres nées et élevées en mer.

Le poids d’un casier varie d’environ 1 kg de poissons à 2 kg de coquillages. Nous fournissons à nos consommateurs la recette idéale pour profiter au mieux de leur casier et nous organisons régulièrement des ateliers gratuits pour nos abonnés qui souhaitent apprendre à vider, fileter un poisson ou ouvrir un coquillage.

En termes de réseau de distribution, où en êtes-vous aujourd’hui ?

C. G. : nous avons une soixantaine de lieux de distribution à Paris et en proche banlieue et nous avons une vingtaine de points de retrait en région. Nous proposons également à nos clients la livraison à domicile, ce qui nous permet d’être présents partout en France.

Comment sélectionnez-vous les pêcheurs ?

C. G. : nous travaillons uniquement avec des petits pêcheurs qui n’utilisent que des techniques de pêche dormantes, celles qui n’ont pas d’impact sur les fonds marins : ligne, filet droit, pêche à pied, en plongée ou en casier. De plus, nous ne sélectionnons aucun bateau de plus de 12 mètres, avec 3 personnes maximum à bord. Nous travaillons aujourd’hui avec une cinquantaine de pêcheurs que nous payons au minimum 20 % de plus que dans les circuits traditionnels. Cette juste rémunération valorise ainsi leur façon de pêcher et leurs pratiques respectueuses de l’environnement.

Combien comptez-vous d’abonnés ?

C. G. : Poiscaille distribue aujourd’hui 2 000 casiers par mois à 850 abonnés. Nous fournissons également une quarantaine de restaurateurs parisiens. En 2017, nous avons ainsi réalisé un chiffre d’affaires de 800 000 €, contre 400 000 € un an plus tôt. La formule d’abonnement à nos « Casiers de la Mer » représente 55 % de notre chiffre d’affaires. Les restaurateurs et les professionnels représentent le reste de notre activité.

Quel est le profil de votre clientèle ?

C. G. : nos clients sont en majorité des familles parisiennes aux revenus assez élevés. Mais nous avons parmi notre clientèle de plus en plus de jeunes de 25 à 35 ans, qui s’intéressent à la qualité de leur alimentation, et une clientèle plus âgée, qui connaît bien les produits de la mer mais qui, à Paris, ne trouve pas une offre qualitativement intéressante. Plus globalement, les consommateurs viennent chez Poiscaille pour nos valeurs de pêche responsable et durable, mais ce qui les fait rester, c’est la qualité et la fraîcheur de nos produits. Notre postulat est que tout poisson est bon dès lors qu’il a été péché durablement et qu’il est rapporté rapidement. Et, en respectant ces principes, nous arrivons à faire consommer à nos clients des poissons oubliés, mal-aimés des étals traditionnels car trop fragiles, comme des tacauds, vieilles, bogues et chinchards. Et cela contribue à préserver les stocks sauvages des espèces les plus demandées.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

C. G. : nous espérons doubler notre chiffre d’affaires en 2018, en recrutant de nouveaux consommateurs. Nous avons réalisé des travaux dans notre entrepôt à Montreuil pour y installer un atelier-laboratoire qui va nous permettre d’obtenir un agrément sanitaire. Nous pourrons ainsi élargir notre distribution aux professionnels, partout en France. Nous avons également des projets de développement de solutions pour allonger la durée de vie de nos produits : filets sous vide, fumage, congélation et conserve. L’idée est de pouvoir encaisser de gros volumes de pêche même quand les prix s’effondrent, afin de garantir à nos pêcheurs une juste rémunération. D’ici quelques années, notre ambition est d’atteindre plusieurs dizaines de milliers d’abonnés, ce qui nous permettrait d’avoir un impact significatif sur les pratiques des pêcheurs, leur qualité de vie et, bien entendu, sur la préservation du milieu marin.

Et à plus long terme ?

C. G. : le but que nous poursuivons est, qu’à terme, les pêcheurs puissent directement mettre eux-mêmes en ligne leurs produits et que la vente se fasse le temps qu’ils sortent en mer afin que, dès leur retour au port, leur pêche soit conditionnée et envoyée au consommateur. Mais pour en arriver là, il faut nouer une véritable relation de confiance avec les pêcheurs, ce que nous essayons de faire au quotidien…

Fiche d’identité
Dénomination : Poiscaille
Activité : distribution en circuit court et sur abonnement de produits de la mer
Chiffre d’affaires : 800 K€ en 2017
Effectif : 6 personnes

© Les Echos Publishing - 2017